La vie à Ducey à travers la correspondance BARON père et fils
A travers la correspondance des BARON adressée au comte de SEMALLÉ et à ses fils, vont se glisser, entre la gestion quotidienne et les affaires traitées, les petits potins, mais aussi les drames qui vont survenir sur une vingtaine d’années, ainsi que les descriptions des notables et de leurs familles.
Les grands travaux sur Ducey de 1840
Le 9 mars 1845, Jean-Louis BARON informe le comte de SEMALLÉ que la communauté des religieuses de Saint-James se trouvant trop nombreuse, cherche à fonder un nouvel établissement à Ducey.
Le curé de Ducey a pensé au grand pavillon du château. Elles recherchent un local et espèrent que la ville les aidera.
» Notre cité semble de jour en jour perdre de sa prospérité, on ne doit pas s’attendre à des secours sur les fonds communaux. L’achat de la maison des frères, de celle des héritiers CHAUDIÈRE, l’expropriation d’un terrain pour faire une place devant l’église et la construction de la maison commune et des halles nous a forcé de faire un emprunt et notre crédit est engagé pour 12 ans « .
Dans la crainte de devoir partager son logement, il demande au comte de bien réfléchir :
« Mais vous ne devez pas ignorer que ces dames se proposent de faire les petites écoles. Vos parquets seront continuellement amoncelés par la fréquentation continuelle d’un grand nombre d’enfants. La cuisine qu’on sera obligé de faire dans la grande salle, puisque tous les hivers la cuisine est pleine d’eau, viendra encore aider cette dégradation.
Joignez à cet inconvénient celui que vous ne serez plus maître chez vous, que vos jardins seront pillés et qu’il faudra renoncer à cultiver votre enclos car il serait impossible d’empêcher les enfants à fouler les récoltes ». (…)
« L’intention serait de s’emparer de tout le grand pavillon. Ce serait à moi de chercher à me caser, comme je pourrai, dans le petit pavillon. Il me faudrait à reporter mon étude et aucune des pièces n’est pas grandeur pour la contenir. J’y serai aussi obligé d’y loger mon clerc et mon domestique.
Voilà trois pièces prises pour ces objets. Mes enfants qui grandissent ne peuvent plus dormir dans leurs berceaux comme autrefois. Je suis obligé de les loger dans une chambre du second et puis je laisse mes filles auprès de ces jeunes gens. Je me trouverai donc, M. le comte, si vous accordiez cette permission, dans la dure nécessité de ne plus pouvoir offrir un lit aux personnes qui m’honoraient de leur visite ou de céder le mien et d’aller coucher à l’auberge. Je ne pourrai plus tenir à la prescription que vous m’aviez donnée d’empêcher les enfants de se réunir comme ils le faisaient au passé. La cour de votre château deviendrait publique ».
BARON achève ses propos sur un argument qu’il espère convaincant : « Le loyer sera gratuit pour les sœurs ». Les religieuses vont finalement s’installer, deux ans plus tard, en 1847, dans la rue qui conserve aujourd’hui le nom de rue de la Communauté.
Petite chronologie des travaux cités dans la commune par les Baron
Les grands travaux de la commune sont énumérés. La création de la route n°176 Paris-Brest (aujourd’hui D.976) est mentionnée.
19 janvier 1840 : avancement des travaux de la route de Ducey à Saint-Hilaire dans le jardin du château (voir articles La route départementale n°21 et ses bouleversements dans la cité ducéenne.
11 décembre 1840 : début de l’enlèvement des arbres dans le jardin du château, dû aux travaux de la grande route dans le parc. BARON propose au comte de faire un mur pour éviter les regards.
15 novembre 1842 : les travaux de la Pérée du vieux pont, l’édification du mur autour de l’îlot en 1843.
10 août 1843 : annonce de la délibération du conseil municipal qui autorise le maire à acquérir la maison de l’écurie de Chardière pour y faire construire une mairie, une justice de paix, y porter la halle aux bouchers, et y percer une rue pour communiquer du bourg de Ducey à la grande route … pour rendre vie à ce malheureux bourg voir article Auberges, Hôtels et Cabarets de Ducey. BARON demande s’il doit enchérir en son nom.
16 juillet 1847 :
« Le mur du château est bientôt terminé. Je l’ai fait construire comme vous me l’avez ordonné. Aussitôt terminé, je vais m’occuper de la réparation de derrière le château et du pont ».
8 août 1850 : le pignon du moulin de Ducey va tomber. Il a besoin de réparations.
24 septembre 1853 : travaux sur la Pérée. Travaux du moulin, vieux pont.
27 septembre 1857 : plaintes des habitants du bas du bourg au sujet de l’odeur des porcs du meunier qui indisposent les gens qui traversent le pont. BARON les a logés dans « le petit appartement touchant l’écurie ». Mais les plaintes continuent. BARON propose au comte de construire quelque chose de neuf.
31 octobre 1858 : les travaux sur le Mont Saint-Michel sont évoqués : « Les trois rivières se sont reçues devant la porte et il fait des excavations de plus de 10 mètres de profondeur qu’il faut traverser qu’en bateau. Les provisions ne sont plus qu’apportées que par eau ».
6 octobre 1858 : Félix JEHANNE, alors suspendu de ses fonctions de maire par le préfet de la Manche, agit toujours comme le premier magistrat de la cité :
« M. JEHANNE a dû vous faire part, M. le comte, que M. CHAMPION et lui faisant rouvrir l‘ancien l’ancienne fontaine des Chênes placée au milieu de l’abreuvoir existant en votre Pâtys et le nouveau pont. Cette fontaine qui autrefois entretenait d’eau le bas du bourg et votre ferme, avait été détruite lors de la construction du nouveau pont et je m’étais servi des pierres de la dite pour des réparations de vos propriétés. Je sais que l’eau manque presque entièrement à Ducey, que les pompes et les puits fournissent à peine pendant deux heures chaque jour, et que les habitants sont loin de s’en procurer suffisamment par leurs besoins ».
24 octobre 1859 :
« Les halles du milieu du bourg sont abattues. Sous peu, on va commencer l’ouverture des chemins par acquis du pré de la fontaine, en abattre l’ancien porche. Ce sera un grand embellissement pour notre bourg » (…).
« On va s’occuper d’embellir notre église qui n’est pas suffisante lors des grandes fêtes. Notre clergé et notre mairie ont fait une enquête pour cette réparation. Tous nos habitants se sont empressés d’offrir leurs cadeaux ».
7 février 1860 : les religieuses s’y mettent également et débutent les fondations de la chapelle.
La crise de 1846-1850
les maladies qui sévissent et les caprices de la météo
La météo et la crise ne sont pas sans relation et la correspondance des deux BARON le prouve.
On apprend que vers 1845 et 1846, la crue des eaux a fait beaucoup de dégâts. Les ponts du bois d’Ardennes ont été détruits et les poutres ont été emportées.

L’année suivante voit apparaître une crise liées aux mauvaises récoltes : « comme chez nous, la seule industrie est la culture des terres ».
« Rien de nouveau dans notre pays que la misère qui continue à augmenter de jour en jour. Les laboureux qui ont ramassé à peine de quoi vivre ont cessé de donner du travail : le malheureux se trouve sans occupation et des ouvriers honnêtes et laborieux sont obligés de mendier. Les bestiaux ne se vendent pas. Tout le monde se trouve dans la plus grande gêne. J’ai vu des propriétaires venir me demander à faire des emprunts ne pouvant pas d’attendre d’ici la récolte prochaine à être payés de leurs fermiers. Si une récolte pareille à celle de l’année dernière avait lieu cette année, je ne puis dire à quelle extrémité nous nous trouverions réduits ».
« Cet hiver, il risquera d’arriver comme en 1840, qu’on sera obligé de tuer les bestiaux qu’on ne pourra vendre » (…) « Le peuple de chez nous n’est pas heureux dans ce moment ici ; il ne trouve pas de travail. Chacun fait le sien comme il peut ; puis surcroît d’infortune, les impôts augmentent tous les jours et les communes s’en créent de nouveaux ».
Deux ans plus tard, l’épidémie de choléra apparaît, qui se déclare en France le 3 mars 1849 et va durer jusqu’en septembre, en faisant plus de 16 000 morts. BARON écrit à SEMALLÉ dès le lendemain de l’arrivée du Choléra à Granville soit le 4 avril 1849 au comte de SEMALLÉ :
«Le choléra est à Granville. Plus de 10 personnes sont déjà mortes. Nous avons bien peur qu’il vienne nous visiter. Les fièvres typhoïdes continuent à sévir dans nos environs. Ce sont en général les malheureux qui en sont victimes ».
La crise économique réapparaît en 1854 et l’année suivante.
« La misère est au comble ici. Le grain, la viande et le cidre sont très chers. (…) les malheureux n’ont pas d’ouvrages, beaucoup de petits fermiers souffrent beaucoup n’ayant pas de récoltes et suffisamment de grains pour subvenir à leurs besoins. Depuis bien des années, la misère n’avait été aussi grande » (lettre du 2 février 1855).
« Dans ce moment, les fonds sont en baisse et les transactions sont bien difficiles. Le seul commerce florissant est la vente des bestiaux qui, cependant, ont éprouvé une diminution. Le grain, à être bien cher et si le port de Granville n’en fournissait pas, il serait encore plus cher, la misère plus grande, car nos ouvriers n’ont pas de travail. L’agriculture va beaucoup souffrir parce que les levées d’hommes ont pris beaucoup de domestiques et ceux qui restent, doivent profiter de l’occasion pour demander les gages plus considérables. Les fermiers s’en plaignent » (lettre du 17 mars 1855).
Les mois de mai et de juin 1856 sont marqués en France par une crue d’une ampleur exceptionnelle et brutale des grands fleuves français. On peut lire le 21 juin 1856 :
« La pluie ne cesse de tomber ici, elle est accompagnée d’un grand vent (…) récoltes mauvaises, etc.« .
Les maladies, les sécheresses des étés, les incendies, les inondations et les intempéries de 1857 à 1859 sont évoquées.
« Les maladies ont été bien communes cet hiver dans notre pays. Les maux de gorge et les fièvres typhoïdes ont fait beaucoup de victimes. Elles commencent à perdre de leur activité et à n’être pas si communes » (4 mai 1857).
« Les incendies ne nous laissent pas dormir. Depuis deux mois, quatre fois le feu a été mis dans le bourg et toujours par malveillance et on ne peut découvrir les coupables. Les maladies continuent à sévir ; la dysenterie fait des ravages. Nous avons eu quelques victimes » (lettre du 17 octobre 1857).
« Le croup a fait beaucoup de victimes parmi les jeunes enfants. Dans les maisons, il y en a jusqu’à trois ou quatre à mourir (…) Malgré le mauvais temps, nos pommiers promettent beaucoup » (12 mai 1859).
Une personnalité ducéenne sous la plume de Jean-Louis BARON

La personne la plus critiquée dans cette correspondance, est manifestement Jean Baptiste DELIVET[1], l’ennemi de la famille BARON.
Dans une lettre rédigée le 21 mai 1843, Baron nous décrit la visite à Ducey du nouveau préfet de la Manche qui s’est déroulée le 3 mai 1843 et ne manque pas de critiquer DELIVET :
« J’avais le désir de voir le passage de notre nouveau préfet, qui a eu lieu par Ducey, vendredi dernier. J’étais invité à faire partie de son cortège et je n’ai pas manqué de m’y trouver. Je me suis toujours tenu à partie d’entendre tout ce que l’administration lui demandait et aucune demande n’a été faite contre vos intérêts, que par Monsieur Delivet qui a prétendu que la Pérée de votre moulin occasionnait la submersion d’une grande quantité de terrains. Sa demande n’a reçu qu’un accueil bien froid. Je suis fondé à croire que notre nouveau magistrat avait été instruit d’avance des mœurs et conduite de ce grand parleur »…..
Le 8 septembre 1847, BARON ne manque pas d’écrire ce qu’il pense de lui :
« Nous n’aurons plus à craindre les faux témoins de ce dernier ; sa dernière heure a sonné mardi et aujourd’hui, il a été conduit au champ-du-repos, tambour en tête. J’ai assisté déjà à plusieurs convois et toujours, j’ai remarqué le chagrin des assistants. Aujourd’hui, on y remarquait que du recueillement et on entendait aucun soupir tant il eut vrai dire : tel vous vous serez comporté, tel vous serez regretté ».
Jean-Louis BARON ignore à ce moment où il écrit ses lignes, que sa dernière demeure dans le cimetière de Ducey, jouxtera celle de son ennemi DELIVET. En effet, la fière sépulture de ce dernier, entourée d’une grille noire luisante entretenue encore de nos jours par la maison de retraite portant son nom, semble encore défier la famille BARON qui repose en face, dans son modeste enclos familial.
[1] Jean-Baptiste DELIVET, originaire du Calvados et médecin en chef de la Marine, va entrer dans l’histoire de Ducey par son mariage avec sa cousine germaine Aimée Jeanne Sauvé, la fille de Gervais Sauvé, le premier maire de Ducey, ancien législateur. Une belle carrière de médecin chirurgien dans la Marine lui permet de voyager. Nanti d’une belle fortune, il prend sa retraite dans la cité de Ducey, remplace provisoirement le maire et prend part à la vie locale. Avant sa mort, il confie à sa femme sa volonté de fonder une œuvre où les malades seraient soignés et secourus Voir article :Jean-Baptiste Delivet, médecin en chef de la marine.
Bonjour et meilleurs voeux
y’ a quelques choses qui me chagrine sur votre article du 14/01/17 (je confirme 2017)
Vous avez fait paraitre une carte postale de Ducey intitulée: »La côte d’ Emeuraude – 1792 – Moulin et le Pont Neuf sur la Sélune ».
Qu’ est ce que vient faire « Côte d’ Emeuraude » à Ducey.
J’ habite entre Dinard et le Cap Fréhel et c’ est là la Cote d’ Emeuraude (à priori elle débute à Cancale).
Peut être qu’ en 1792, la Côte d’ Emeuraude englobait toute la Baie du Mont St Michel.
Mis à part ça, j’ apprécie beaucoup vos sujets.
J’aimeJ’aime
Merci pour votre commentaire et vos appréciations concernant notre blog.
Pour votre remarque concernant le titre « côte d’Emeraude », nous avons, comme vous, été surpris, mais c’est celui sous lequel a été édité cette carte postale ancienne.
Il faut savoir que les éditeurs étaient avant tout des vendeurs. Ils réalisaient des séries sur un thème, ici « côte d’Emeraude », et peu importante s’ils tordaient la vérité du moment que c’était vendeur !
Il y a de nombreux exemples de cette arrangement avec l’exactitude, en particulier sur les séries. (Par exemple, un château peut être situé dans une commune plus importante ou dans le chef-lieu.)
J’aimeJ’aime