Louis-Gabriel Lebouteiller prêtre natif de Céaux sous la Révolution

Les grands bouleversements politiques et sociaux de la Révolution amènent les députés français, le 2 novembre 1789, à voter la nationalisation des biens de l’Église. Le 12 juillet de l’année suivante, l’assemblée constituante vote la réorganisation de l’Église de France sous le nom de Constitution civile du clergé. L’Église est désormais placée sous la tutelle du pouvoir civil et non plus sur l’obédience papale. Tous les ecclésiastiques se doivent de prêter serment à cette nouvelle constitution.

Mais quelles vont être les réactions des ecclésiastiques de la petite commune rurale de Céaux située dans la baie du Mont Saint-Michel ?

En 1793, Céaux compte 754 habitants. Elle a pour curé un certain Henri Tesnière,  ancien prêtre de Poilley en place depuis 1768. Il est secondé depuis 1785 par un vicaire : Pierre-Cyr Orvain, originaire de la paroisse du village. A l’annonce de la nouvelle constitution, les deux ecclésiastiques et comme beaucoup de leurs confrères, refusent le serment constitutionnel mais restent en fonction jusqu’en février 1792, sans être inquiétés.
Mais leur remplacement est inéluctable.

C’est ainsi qu’arrive à Céaux, en février 1792, le prêtre assermenté Gilles Bréhier, natif de Vains. Il est froidement accueilli par la population locale et n’exerce sur eux aucune influence. Ses offices sont très peu fréquentés.


Louis-Gabriel Lebouteiller, le vicaire de Juilley

Un vicaire habitué du village

La commune est aussi habituée à voir M. Louis-Gabriel Lebouteiller, le vicaire de Juilley natif de la commune. Ce dernier a également refusé le serment constitutionnel. Il vient souvent rendre visite à sa famille du village des Forges mais n’y reste guère longtemps.

Un an après l’arrivée du prêtre assermenté Gilles Brehier, Lebouteiller se rend à la mairie de la commune de Céaux et demande un laissez-passer pour se rendre en Angleterre via Saint-Malo. Il a mûrement réfléchi et a pris la décision de s’exiler outre-Manche comme ses deux confrères Tesnière et Orvain à l’automne précédent.

Registre des délibérations de la commune de Céaux.

Le registre municipal de délibérations renferme les informations nécessaires au  précieux sauf-conduit. On y apprend que Louis-Gabriel Lebouteiller, alors âgé de 29 ans, est un homme plutôt grand puisqu’il mesure 5 pieds, 4 pouces (1.72 m). Ses cheveux sont châtains. Sa maigre figure, quelque peu marquée par la petite vérole, laisse apparaître un nez commun et surtout une large bouche surmontant un menton fourchu. Face à l’officier civil, il «a déclaré aller à Saint-Malo pour s’embarquer si faire se peut pour sortir du royaume et au cas contraire pour en sortir par l’endroit le plus commode qu’il pourra trouver et cela pour obéir à la loi du 26 août dernier, ce 14 février 1793 second de la République Française ».

De Jersey aux  prisons du Mont Libre

Comme les 841 prêtres du diocèse d’Avranches, Louis Gabriel Lebouteiller se rend en 1793 sur l’île anglo-normande de Jersey. Il est cité dans la liste du clergé d’Avranches exilé sur l’île Jersey et dressée par l’abbé Hambis[1]. Mais il ne reste pas sur place.

Cependant les archives municipales de Céaux nous apprennent qu’à une date inconnue, il a été incarcéré à la maison de réclusion du Mont-Saint-Michel comme beaucoup d’autres prêtres.

A-t-il assisté à l’arrivée des Vendéens venus libérer les prêtres enfermé en novembre 1793 ?
Etienne Dupont, dans son étude « Les prisons du Mont Saint-Michel 1425-1864, d’après des documents originaux inédits » (1913), nous relate cet événement :

Cependant, les Vendéens, en marche sur Granville, lancèrent de Pontorson un détachement de cavalerie pour mettre en liberté les prêtres détenus au Mont Saint-Michel (…). Ils se contentèrent de mettre quelques prêtres en liberté ou, plutôt, d’ouvrir les salles où étaient entassés ces malheureux. La plupart refusèrent de suivre leurs libérateurs, soit par craintes de représailles, soit par scrupule excessif, soit par l’anéantissement physique dans lequel ils se trouvaient, en raison des privations que leur infligeaient leurs bourreaux ».

Sa libération

Le 15 mars  1795,  la municipalité de Céaux reçoit un extrait de la mise en liberté du citoyen Louis-Gabriel Lebouteiller rédigée à Avranches cinq  jours auparavant dans lequel on apprend qu’il a «écrit une pétition qu’il a adressé au citoyen Legot représentant du peuple envoyé dans le département de la Manche dans laquelle il demande son « élargissement » et informe qu’il souhaite se retirer dans sa commune de naissance ».
Lebouteiller profite ainsi de l’amnistie décrétée par la convention nationale dans un arrêt du 13 ventôse dernier et il est libéré.

Pour cause de mauvaise santé, il accepte de rédiger une preuve de confiance et de soumission aux lois de la République auxquelles il déclare se conformer. Les portes de la maison d’arrêt du Mont Michel sont ouvertes « au dit Lebouteiller, qu’il sera tenu de se retirer dans la commune de Céaux dans laquelle il déclare fixer son domicile pour y vivre sous la surveillance des autorités constituées ».

Remis en liberté à une date qui nous est inconnue, on retrouve Lebouteiller le 22 avril 1795 à Céaux, dans le village du Cour l’Harmonière en train de baptiser, en cachette, un enfant.

La commune se retrouvait sans curé depuis que Gilles Bréhier, le curé « intrus » s’était éteint  un an auparavant et n’avait pas été remplacé. Lebouteiller ignore cependant que Jean-Baptiste Charles Gougeon, originaire de Céaux et, curé intrus de Chèvreville vient juste de revenir dans sa commune pour y résider, par crainte des chouans.

Le prêtre clandestin

Les mois suivants, on retrouve Louis-Gabriel Lebouteiller parcourant la campagne. Il enregistre clandestinement les baptêmes et quelques rares mariages sur le canton. Entre le 22 avril 1795 et le 17 janvier 1802, les registres clandestins aujourd’hui conservés aux Archives Départementales de la Manche, enregistrent plus de 220 actes de baptêmes et mariages et inhumations (seulement 2 en 1801) clandestins dans les communes de Céaux, Précey, Servon, Juilley Poilley, Pontaubault, Crollon, et Servon et plus rarement à Saint-Laurent-de-Terregatte, Saint-Aubin-de-Terregatte, le tout, à l’insu des autorités.

Et ce, malgré la déclaration de Jean-Baptiste Gougeon, enregistrée le 24 mars 1797 dans les délibérations municipales de Céaux, par laquelle il rouvre l’église de la commune et exerce le culte constitutionnel, sans beaucoup de succès.

De retour d’exil, l’ancien vicaire Orvain tient à nouveau l’école et à la fin de 1803 Gougeon rétracte ses serments et reste à Céaux avant d’être nommé à Cormeray. Il s’éteint à Céaux en 1831 la même année à laquelle Lebouteiller est nommé curé de Juilley et quelques mois avant la mort de ce dernier survenue le 7 juillet à l’âge de 78 ans.


[1] Semaine Religieuse de 1865-1866, pp.514 à 519.

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