Saint-Quentin-sur-le-Homme : Saint Gorgon,

En pénétrant dans la nef de l’église de Saint-Quentin-sur-le-Homme, le visiteur doit se retourner pour découvrir un grand retable, mobilier ordinairement situé dans le chœur des églises.

Deux niches abritent deux statues rapportées : à droite saint Antoine de Padoue, posé sur un piédestal pour compenser le manque de grandeur de la statue, à gauche Sainte Thérèse de Lisieux, née postérieurement à la création du retable.

Église de Saint-Quentin – Le retable adossé au porche

Ce mobilier a été déplacé. A l’origine, au milieu du XVIIIe siècle, il encadre le maître autel situé sous la grande verrière. Il remplace alors l’autel en pierre et le tabernacle de 15661. Les statues occupant les niches sont celles que l’on voit toujours, encadrant l’autel, mais posées, maintenant, sur des corbeaux.

L’autel représente symboliquement le Christ. Les fidèles lui font face. À gauche (donc à la droite du Christ) se trouve le patron principal, Saint Quentin, à droite (dont à gauche du Christ) se trouve le patron secondaire, saint Gorgon.

Église de Saint-Quentin – saint Quentin et saint Gorgon encadrent la verrière

Qui est saint Gorgon ?

D’après la Légende Dorée2, les saints Dorothée et Gorgon, occupant de hautes fonctions auprès de l’empereur Dioclétien, à Nicodémie3, renoncèrent à leur carrière pour suivre leur roi et s’affirmèrent ouvertement chrétiens. L’empereur, ne supportant pas de perdre de tels hommes, nobles dans leurs actions et conditions, fit tout son possible pour les en dissuader.

Comme les menaces et les promesses ne parvenaient pas à modifier leur conduite, ils furent déchirés à coups de fouets et d’ongles de fer sur un chevalet. Ils étaient tellement écorchés qu’on voyait leurs intestins. Puis on aspergea leurs chairs à vif de vinaigre et de sel. Comme ils supportaient cela avec joie, ils furent rôtis sur des grils. Ils paraissaient, alors, être sur un lit de fleurs, sans aucune souffrance.

Voyant cela, l’empereur ordonna qu’ils furent pendus et leur corps donné en pâture aux loups. Mais des fidèles purent recueillir intacte leur dépouille.

Ils souffrirent vers l’an du seigneur 280. Bien des années plus tard, le corps de saint Gorgon fut transféré à Rome. En l’an du Seigneur 764, un évêque de Metz, neveu du roi Pépin, le transféra dans les Gaules et le déposa au monastère de Gorze4.

Église de Saint-Quentin
Saint Gorgon

Un récit rapporté dans la Revue Belge5 raconte ce transfert.

La Lorraine eut au début du huitième siècle un archevêque, Chrodegand, petit-fils de Charles Martel et neveu de Pépin le Bref. Le pape Étienne lui donna le pouvoir de sacrer les évêques par toute la Gaule. En un lieu voisin de Metz, où Pépin chassant avait trouvé un cerf qu’il poursuivait couché pieusement aux pieds d’un saint ermite, Chrodegand fit élever un superbe monastère ; les pierres allaient d’elles-mêmes occuper miraculeusement leur place pendant le repos dominical. Il fallait pour cette retraite bénie un saint de choix : Chrodegand alla demander à Rome les reliques du martyr saint Gorgon, guérisseur insigne. Sa requête fut repoussée : le pape lui proposait deux autres saints en échange. Il n’eut garde de refuser mais il tenait à saint Gorgon et sut le conquérir avec une décision et une vigueur dignes de sa race guerrière et de son temps.

Resté seul, une nuit, en prières auprès de la châsse, après avoir corrompu les gardiens, il s’empara de saint Gorgon par effraction. Mais il fut bien justifié de ce pieux larcin, car dès son départ de Rome, et en mainte péripétie, saint Gorgon manifesta des signes non équivoques qu’il voulait suivre les Francs. Subtilisées par des moines alpins, il fallut que l’archevêque revint, la hache à la main, pour leur faire rendre les reliques de saint Gorgon.

Enfin, le saint put rejoindre la place d’élection qu’il n’a pas quitté depuis.

Poce-les-Bois (35), chapelle et statue de saint Gorgon

Dès le XIIe siècle, saint Gorgon était saint Coco pour les Vannais, transformé au XVe siècle en saint Cogo. Puis les Bretons en ont fait saint Gorgon.

Il est devenu saint Gourgon en Normandie, où il est très populaire, particulièrement à Saint-Quentin-sur-le-Homme.

Chaque second dimanche de septembre un très grand nombre de voisins d’au-delà du Couesnon venaient le prier. Certaines personnes avancent même que la plate-forme surmontant le porche avait été réalisée pour permettre de prêcher en plein air à une foule de Bretons. Ces pèlerins déclaraient volontiers, dans leur mépris pour les Normands :

Sans le grand saint Gourgon,
Le gros Saint-Pierre-ès-Loges
Et Saint Michel du Mont,
Je n’irions jamais veir
Ce que les Normands font.

En 1850, douze cents pèlerins des cantons de Combourg, Antrain, Pleine-Fougères et autres lieux venaient encore à la Saint Gorgon de Saint-Quentin. Vers 1925, on n’en compte plus que quelques dizaines et ces horsains sont des communes limitrophes.

Outre sa statue en bois, le représentant tenant un gril6, une phase du martyre de saint Gorgon était peinte sur une verrière du XIXe siècle de l’église, œuvre aujourd’hui disparue.

A Saint-Quentin, comme à Cuves7, saint Gourgon est prié pour les douleurs et les maladies nerveuses. A Chèvreville8, les jeunes mères viennent l’invoquer pour leurs bébés marchant difficilement.

L’assemblée9 de la Saint-Gorgon, à Margueray10, était très fréquentée puisque, le 12 septembre 1790, il y fut débité 8 tonneaux de cidre. Il arrivait, comme de nos jours, que ces joyeuses libations engendrent des querelles. La foire Saint-Gorgon, en Saint-Paul-du-Vernay, près de Bayeux, jouissait de ce dicton :

Je ne vais pas à la Saint-Gorgon
Pour y recevoir des coups de bâton.

Pour la Haute-Normandie, il existait le pèlerinage et la fameuse assemblée de la chapelle Saint-Gorgon (on dit aussi Saint-Gourgon), au Manoir des Templiers, à Saint-Martin-de-Bocherville11.

Comme Gorgon était maître des offices de l’empereur, les notaires de Rouen l’avaient institué leur protecteur et leur patron. 12

Notes

1 Privé de sa pyramide, ce tabernacle servit désormais de crédence (réf : La Normandie monumentale et pittoresque…, page 216, E. A. Pigeon).
2 Jacques de Voragine, La Légende Dorée, XIIIe siècle. Ed. bibliothèque de la Pléiade.
3 Asie Mineure.
4 Moselle. Qu’est devenu saint Dorothée ? La Légende Dorée est muette à ce sujet.
5 Histoire parue dans la Revue Belge et rapportée par le Journal des Débats du 25 septembre 1919. BnF Gallica.
6 Cette statue porte le nom de son auteur : François Lebert, exécutée certainement à la même époque que le retable du XVIIIe siècle.
7 Canton d’Isigny-le-Buat.
8 Canton de Saint-Hilaire-du-Harcouët.
9 Assemblée : Réunion populaire, fête de village équivalent au Pardon en Bretagne.
10 Canton de Villedieu-les-Poêles.
11 Canton de Barentin.
12 Source, J. Seguin, Saints guérisseurs, saints imaginaires…,1925.

Martyr de saint Gorgon, fêté le 9 septembre

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