Poilley : Une misérable vie, première partie

Au début du XXème, un fait divers sanglant tient en haleine les lecteurs des journaux et particulièrement ceux de l’hebdomadaire L’Avranchin. Dans un article fouillé, le journaliste relate par le menu cet événement tragique. Excès de morbidité ou conscience journalistique extrême, tout y est consigné.
Âmes sensibles, choisissez vos paragraphes ! 
Derrière le reportage, parfois acerbe et politique, on découvre la promptitude de l’enquête et du jugement : trois mois suffisent pour aboutir à la sentence du tribunal. Hélas, cette rapidité ne permet pas de répondre à certaines questions troublantes.

Voici les faits, rapportés par l’Avranchin du 7 mars 1908.

Horreur et sidération

Le crime de Poilley 

Lundi matin, se répandait comme une traînée de poudre le sinistre bruit qu’un crime épouvantable avait été commis à Poilley, près Ducey, dans la soirée de dimanche. Ce n’était pas un canard lancé par un mauvais plaisant, car un gendarme de cette localité arrivait bride abattue apporter la triste nouvelle. Le Parquet se rendit sur les lieux, au cours de l’après-midi, pour procéder aux constatations judiciaires. Nous nous y sommes également transporté, et avons pu recueillir les détails suivants sur cet abominable forfait, qui a plongé dans une émotion indescriptible les tranquilles habitants de Poilley. Il est vrai qu’un semblable drame n’est pas commun dans notre pays ; il y a une dizaine d’années cette commune fut le théâtre d’un assassinat mais dans des circonstances plus banales : une femme avait été tuée par son mari. 

Le village de Rozel 

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Carte routière de 1894

Pour y arriver on emprunte, sur la gauche, un chemin vicinal au haut de la côte du V, sur la route de Ducey. Après le passage à niveau du tramway, on traverse l’important village de Lentille, puis après avoir longé la ligne de chemin de fer sur un parcours de 100 mètres et l’avoir franchie, on arrive au hameau de Rozel, qui ne compte pas moins de vingt feux. Le village parsemé de nombreux peupliers, qui bordent la Sélune poissonneuse, donne abri à de laborieuses familles de cultivateurs entre lesquelles règne une cordiale harmonie. Au loin, d’un côté on aperçoit les parcs ombragés du château de l’Ile-Manière ; presqu’en face, dominant la colline s’élève l’important bourg de Saint-Quentin, présentant l’aspect d’un immense château-fort. 

La maison du crime 

Elle est située au centre de Rozel, à 200 mètres de la ligne d’Avranches à Domfront, et à un kilomètre du bourg de Poilley. Cette habitation quoique couverte en chaume, et sans étage, a un certain cachet ; elle se compose de deux pièces au rez-de-chaussée ; dans l’une se trouve le ménage de la victime, et l’autre, côté levant, sert de logement au domestique, de salle de débarras et de cellier. De chaque côté du jardin à plant sont situés des appartements d’exploitation agricole. 

La victime 

C’est Mme veuve Rivière, âgée de 67 ans, qui depuis plus de quarante ans habitait la commune de Poilley, où elle jouissait de l’estime publique. Elle était la belle-sœur de Mme Ferdinand, marchande de légumes, bien connue à  Avranches au carrefour de Mortain. Il y a quelques années, elle s’était fixée au Rozel, où elle faisait valoir une petite ferme d’environ quarante vergées.  

Sans être riche, la veuve Rivière était cependant dans une certaine aisance, et, selon les termes du pays, faisait ses affaires. Elle possède quatre garçons dont l’un est cultivateur tout auprès, Victor, âgé de 42 ans ; deux autres sont à Paris, y exerçant les professions de boulanger et conducteur d’auto ; enfin, le quatrième fait son service militaire à Rennes, dans l’artillerie, où il a le grade de maréchal des logis, et en attendant la fin du congé de celui-ci, la veuve Rivière avait pris un domestique pour la seconder. C’est l’individu dont nous parlerons plus loin.  

La découverte du crime 

Lundi matin, vers sept heures, au Rozel, les voisins furent tout surpris de ne voir ni la veuve Rivière ni son domestique vaquer a leurs travaux habituels ; les animaux criaient famine dans l’étable.
Croyant qu’elle était malade, ils frappèrent à la porte : pas de réponse. M. Auguste Muriel courut alors chez M. Rivière fils, qui arriva aussitôt.
On brisa un carreau de l’imposte de la fenêtre et celle-ci, qui est toute en bois, fut ouverte.

Un spectacle horrible terrifia tons les regards : du sang, partout du sang.  

Des barreaux en fer forgé empêchant de pénétrer dans la maison par la fenêtre, on se mit en demeure de forcer la porta du cellier, lequel a un accès dans la maison. 
Jamais œil humain ne vit plus lugubre boucherie ; notre plume est incapable de décrire ce tableau écœurant que nous avons vu de nos yeux attristés.  

La maison était dans un désordre indescriptible. Le contenu d’une armoire gisait pêle-mêle au pied de la table sur l’aire de la salle.  

D’un autre côté, un monceau de linge était étalé dans une mare de sang.  

En face de la porte de la cuisine, les pieds du côté de la porte, la veuve Rivière était étendue la face contre terre, les vêtements relevés par-dessus la tête, dans un état inénarrable. 

Une mare de sang coagulé couvrait le sol ; des taches de sang partout, sur la porte, sur les murs, sur l’armoire et au plafond, témoignaient de la férocité de l’assassin.  

La tête presque tranchée tenait à peine au tronc ; le bas ventre, perforé du haut en bas, laissait s’échapper deux énormes flocons d’intestins sanguinolents, recouverts d’une graisse jaunâtre ; un sein était horriblement mutilé ; deux morceaux de chair, dont l’un de 23 centimètres de longueur sur 20 de largeur et du poids de 1,500 grammes, avaient été taillés dans la fesse droite et gisaient près de la victime. 

Le brigand, d’un coup de hache, avait essayé de sectionner un genou qui n’avait pas saigné, la malheureuse femme ayant dû à ce moment se trouver totalement exsangue. 

Sur la table se trouvaient un rasoir ensanglanté, deux porte-monnaie vides et un papier que nos lecteurs liront avec effroi ; dans un coin une barre de fer, rougie par le sang, et tout auprès une hache à laquelle adhéraient encore des lambeaux de chair.  

A la vue de ce tableau navrant, le pauvre fils et ses aides poussèrent un cri d’épouvante :   » Le misérable ! » 

Glacés de frayeur, à la pensée d’un tel forfait, c’est à peine si les larmes mouillèrent leurs sanglots, tandis qu’ils maudissaient Yger, le domestique assassin. 

Car c’était le meurtrier. Il avait eu le cynisme d’écrire son aveu sur la feuille de papier à lettre trouvée sur la table et qui dénote une mentalité telle que nous l’avons rarement rencontrée dans l’histoire des plus audacieux criminels :  

Je soussigné Yger reconnais avoir assassiné la veuve Rivière, à la suite d’une querelle que nous avons eu ensemble, mais elle n’a pas souffert beaucoup, car du premier coup de barre de fer, elle a crié une fois, et la fille Roussel est venue et je lui ai dit qu’il n’y avait rien, elle s’en va, et je prends un couteau et je lui ai coupé la gorge, elle a saigné comme un cochon, elle a rendu le dernier soupir.  
Merdre (sic) pour elle.  
(quelques mots illisibles) et des coups de hache, mais, c’est quand elle a été morte car je ne voulais pas qu’elle souffre, elle est morte à 6 heures du soir, c’est moi qui a fait le forfait,  
c’est Jean-Baptiste Yger qui a fait le forfait 
(Encore quelques mots illisibles).   Signé : YGER, J.-B.  

Revenus de leur stupeur, plusieurs voisins coururent prévenir M. Dumont, maire, et la gendarmerie qui vint immédiatement sur les lieux, avec M. le juge de paix de Ducey, son greffier et M. le docteur Fleury.  

Les premières constatations furent faites, et l’on s’enquit immédiatement dans quelle direction pouvait être parti le domestique de la veuve Rivière.  

Le Glaneur de la Manche du 7 mars 1908

La  fuite du domestique  

Où est le domestique ? Une enquête menée avec tact par la gendarmerie a permis d’apprendre que le dimanche au soir, vers huit heures et demie, il se trouvait au débit Prlmaux, situé au lieu dit le V, et que là, il s’est livré à de nombreuses libations ; de plus il paraissait surexcité. 

C’est du moins ce qui résulte du témoignage des sieurs Lenoir et Desfoux, auxquels il a offert à boire.

Ce dernier, en le quittant, l’a vu se diriger vers le bourg de Pontaubault.  

Là, ne se bornèrent pas les découvertes. On sut bientôt qu’un individu, qui ressemble au signalement de Yger, avait voulu, le lundi matin, se faire écraser sous le train de sept heures, à 400 mètres de la gare de Pontaubault. Le mécanicien l’ayant aperçu à temps stoppa. Voyant son coup raté, l’individu se releva de dessus le rail et se sauva à travers champs. 

Plus de doute, on venait de se trouver en présence du domestique de la veuve Rivière. 

C’est la dernière trace que l’on ait de lui. Espérons que la justice lui mettra la main dessus et que M. Fallières, le père des assassins, aura bientôt un protégé de plus. 

M. Fallières est Président de la République.

Le bruit courait mercredi qu’on l’avait trouvé noyé dans une mare près de Coutances ; le fait était faux. 

 Lundi, le bruit circulait également que l’on avait arrêté Yger au V ; il n’en était rien non plus. C’est un vagabond inoffensif, nommé François Guillet, qui avait quitté la commune de Saint-de-Beuvron où il travaillait. 

Gendarmerie de Ducey, vers 1905

Descente du Parquet  

L’autopsie .  

Lorsque nons arrivons, c’est-à-dire vers deux heures et quart, la brigade de Ducey est en train de recueillir le plus de renseignements possible auprès des voisins, qui stationnent dans le verger, dans un silence plutôt tragique.
Vers trois heures, MM. Le Grin, président du Tribunal, Charvet, procureur de la République, et Simonne, commis-greffier, arrivent au Rozel.  

Un télégramme contenant mandat d’arrêt et le signalement précis du criminel est rédigé. Un gendarme enfourche sa monture et le porte à Ducey, d’où on le transmet dans toutes les directions : aux brigades, commissariats et Parquets.  

Quelque temps après, vient en auto M. le Dr Béchet, médecin-légiste, porteur de sa trousse de chirurgien.
En l’attendant, les magistrats instructeurs se sont empressés de recueillir les dépositions des témoins.
Puis on procède à l’autopsie ; trois personnes sont requises pour prêter main-forte à cette ingrate besogne.  

Lorsqu’on relève le cadavre de la veuve Rivière, tous les curieux reculent de frayeur, et petit est le nombre de ceux qui restent à voir se pratiquer l’autopsie.
Néanmoins, il en est quelques-uns que la funèbre opération n’émotionne pas ; nous avons même remarqué une femme qui, malgré toutes les tentatives faites pour l’en empêcher, reste le nez cloué sur le grillage de la fenêtre, que l’on est obligée de tenir ouverte à cause de Ia lumière. 

Pendant ce temps, deux gendarmes accompagnés d’un cultivateur se sont rendus dans une maison inhabitée, située à quelque distance, où l’on soupçonnait que l’assassin s’était caché ; les appartements ont été fouillés de la cave au grenier : personne.  

Vers cinq heures, l’autopsie était terminée, et le cadavre mis dans la bière ; puis les gendarmes sont partis à la recherche du domestique en emportant une quantité de pièces à conviction.  

Le Parquet est rentré à  Avranches vers 6 heures. 

Morgue de Paris : Plus de 40 000 visiteurs se pressaient certains jours pour assister à ce spectacle très apprécié par les touristes, en particulier anglais. Pour cause d’hygiène, la morgue fut fermée au public en 1907.

À suivre : Chronologie et faits

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