Chronologie et faits
Détails rétrospectifs
Comment s’est perpétré le crime.
Dans quelles circonstances s’est produit l’abominable forfait que nous venons de relater ? Telle est la question qui, aujourd’hui, n’est pas encore résolue.
Est-ce à la suite d’une discussion ? est-ce sous l’empire de la folie ? ou de l’alcool ? On l’ignore.
Toujours est-il qu’au moment du crime, l’auteur était légèrement ivre, car il est certain que pour mutiler ainsi une pauvre femme après l’avoir assommée, il faut avoir une exprimable férocité qui ne peut être engendrée que par l’alcool ou l’ivresse rouge du sang.
Voici dans quelles circonstances le crime a dû se commettre.
Dimanche soir, vers 5 heures, Mme Rivière, qui avait passé l’après-midi chez elle, était sortie dans la cour ; elle aperçut la petite fille de son voisin Roussel âgée de 12 ans, en train de prendre de l’eau au puits, situé dans son propre jardin, à une trentaine de mètres de sa maison.
Elle lia conversation, ou plutôt échangea des paroles banales au sujet du puits.
La veuve Rivière rentra chez elle. Quelques secondes s’étaient à peine écoulées, que la petite Roussel entendit un cri, rauque, sinistre, presque, la glaça d’épouvante.
Vite elle se rendit chez sa voisine. Cette enfant n’était pas aussitôt arrivée à la porte, qu’un homme sortit précipitamment, et lui dit : « Qu’est-ce que tu viens faire là, va-t-en, il n’y a rien, Il n’y a rien ! »
La petite fille, déjà terrorisée, rebroussa chemin, et s’enfuit chez elle, suivie de l’individu, en qui elle avait reconnu le domestique, qui lui répétait toujours : « Il n’y a rien ».
Elle était seule, travailla un peu, s’amusa, oublia l’alerte, et lorsque ses parents rentrèrent, elle ne pensait plus à sa peur.
Après avoir poursuivi la petite Roussel, l’assassin rentra au logis. Est-ce à ce moment qu’il écrivit son aveu et se livra sur sa patronne à ces actes de barbarie atroces ? Tout le fait supposer.
Car il n’est pas vraisemblable qu’il ait dû revenir le soir, de Pontaubault, coucher au Rozel et ait assouvi sa fureur sous le coup d’une ivresse plus accentuée.
Non, à ce moment, la peur devait déjà le tenailler. Ses actes de sauvagerie furent commis lorsqu’il rentra la première fois.
Le sang bouillonnait encore, et si la veuve assommée d’un formidable coup de barre de fer ne remuait plus, son cadavre encore chaud raviva la colère du meurtrier, qui laissa libre cours à sa rage et se vengea si cruellement.

Pour ce, il s’arma d’un rasoir, qu’il avait fait tout récemment repasser chez M. Feuillet, coutelier à Avranches, et en larda le corps de la malheureuse fermière ; puis ayant pris une hache il chercha à la dépecer, à séparer les membres et la tête du tronc.
Ne pouvant y parvenir et affolé par la vue de tout cet affreux carnage, il souleva le corps, le retourna et taillada à tort et à travers et partit après avoir barré la porte d’entrée et emporté les clés
Ce qui fait supposer, d’un autre côté, qu’il serait revenu coucher au Rozel et que c’est à ce moment qu’il aurait mutilé le cadavre, c’est qu’à Pontaubault, ni ses mains, ni son visage, ni ses vêtements ne portaient de traces de sang.
Il est vrai qu’on a retrouvé, dans la cuisine, un pantalon maculé de sang que, vers sept heures, après son meurtre, Yger a enlevé en procédant à son nettoyage ; il avait également enlevé ses bottes, mangé et fait chauffer du café.
Quel est le mobile du crime ?
L’assassin dit dans sa lettre que c’est à la suite d’une discussion. À Poilley, on ne sait à quoi l’attribuer, ou plutôt on pense que le vol est le mobile du crime.
En effet, on estime qu’une somme d’environ 200 francs a disparu ; cette hypothèse serait plausible et expliquerait bien pourquoi on a retrouvé le linge et le contenu d’une armoire tout épars sur le sol auprès de la table et à la la tête de la victime.
L’assassin
L’auteur de cette épouvantable boucherie est originaire de Poilley et toute sa famille, qui est des plus honorable, y habite depuis longtemps.
C’est un nommé Jean-Baptiste Yger, âgé de 24 ans, et dont la mère, née Marie-Louise Fardin, qui comptait sur lui pour la soutenir, habite le bourg de cette commune.
Yger a fait son service militaire à Granville ; il était revenu au pays il y a 18 mois, époque à laquelle il était entré au service de la veuve Rivière.
Il était assez bien considéré, quoique, si l’on s’en rapporte à ses linges, il était doté d’une maladie très sérieuse et peu appréciée.
Le journaliste laisse-t-il supposer qu'Yger était atteint d'une maladie vénérienne, certainement la blennorragie ou gonorrhée qui provoque des écoulements de pus ?
La situation de sa mère était assez gênée et Yger, tracassé par cette dernière, nous dit-on, sans que nous osions l’affirmer, a dû payer maintes dettes, car à Poilley, comme partout, l’alcool paie 220 francs de droits par hecto, et c’est bien cher pour les petites bourses qui veulent se payer un petit extra de temps en temps.
N’empêche que la douleur de la pauvre femme est bien dure et que chacun la plaint d’avoir donné le jour a un tel bourreau.
L’inhumation de Mme Rivière a eu lieu mardi l’après-midi ; rarement on vit autant de monde derrière un cercueil : une voix pieuse se fit, en termes émus, l’interprète de tous.
La défunte qui préparait une petite fête pour mardi gras, avait depuis longtemps invité son fils et sa famille à venir passer la soirée. Au lieu d’apporter la joie, mardi-gras fut pour les siens un jour de larmes.
Après une longue existence de travail et une fin si pénible, la pauvre dame est allée, non loin d’amis regrettés, reposer dans l’agreste cimetière de Poilley. Et longtemps encore, en passant près de sa tombe, les jeunes mamans, au souvenir de l’affreux bandit qui déshonora les siens, serreront leurs chérubins blonds, bien fort près de leur poitrine.
Arrestation de l’assassin
Vendredi matin, vers 7 heures 1/2, un poseur à la Cie de l’Ouest, nommé Bourdet, demeurant à Rozel, en Poilley, circulait le long de la voie. Il aperçut, à 100 mètres au-dessus du pont sur la Sélune, près de Pontaubault, un homme couché dans les ajoncs.
A ce moment il n’y prit pas garde, mais arrivé en gare il dit au chef de Section : « C’est peut-être bien l’assassin qui est couché là-bas » ; un sieur Pierre Leray, qui travaille également à la voie, l’accompagna, et tous deux se rendirent à l’endroit indiqué.
« Que faites-vous là ? » dirent-ils à l’individu ; celui-ci, à bout de force et mourant d’inanition, leur répondit : « Je suis malade, je n’ai pas mangé depuis dimanche. »
Bourdet avait reconnu Yger ; aidé de son camarade, il conduisit ou plutôt porta l’assassin chez M. Leprévost, où on lui fit manger de la soupe.
Un télégramme fut expédié à Ducey : vingt minutes après les gendarmes s’assuraient de la personne (oh ! bien calme) du sieur Yger qui avoua humblement son crime ; il a été conduit à Ducey en voiture.
L’arrestation de l’assassin de la mère Rivière fut vite connu. En un clin d’œil une foule énorme stationna devant l’hôtel Leprévost et voulut faire un mauvais parti à Yger, que les gendarmes étaient presque impuissants à protéger.
Par une curieuse coïncidence, le fils de la veuve Rivière, Charles, se trouvait à la gare où il se disposait à prendre le train pour Rennes.
Une personne charitable, comme il n’en manque pas, vint lui dire : « Dites-donc, l’assassin de votre mère est là ! »
Le malheureux garçon, en proie à une légitime émotion, ne fit qu’un bond pour aller venger sa mère ; on eut toutes les peines du monde à l’en empêcher.
Sur tout le parcours de Pontaubault à Ducey, sortaient de partout les cris de : « A mort ! à l’eau, à la guillotine ! «
A 9 heures 1/4, le cortège arrivait au chef-lieu de canton où avait lieu la révision. Une foule énorme l’a entouré, poussant des cris de mort contre l’assassin.
Celui-ci paraissait ne rien entendre, plus mort que vif. Vêtu d’un bourgeron, coiffé d’un chapeau de feutre, il avait l’air plutôt timide, même gentil garçon, et l’on se demandait quel sentiment incompréhensible avait pu le pousser à ces raffinements de perverse cruauté.
Au train de midi 28 une foule nombreuse était descendue à la gare d’Avranches pour conspuer l’assassin à son arrivée. Les curieux ont été déçus, le Parquet ayant ordonné le transfert par voiture.
Au moment du départ de la gendarmerie de Ducey, M. Leprovost, libraire à Avranches, se disposait à photographier Yger pour le livrer demain samedi en cartes postales.
Une brave femme de la campagne, qui n’avait jamais vu d’appareil, le prit sans doute pour Deibler : « Bon Dieu, ne le manque pas, ce salaud là ».
Nos lecteurs nous excuseront de terminer par cette réflexion typique que le Jury des Assises méditera.
L. NICOLLE
Anatole Deibler : bourreau français qui, en 54 ans de carrière, participa à 395 exécutions dont 299 en tant qu'exécuteur en chef.
Yver en prison, comportement
Le meurtre de Poilley.
L’Avranchin, numéro du 14 mars 1908
Depuis son incarcération, Yger a subi une dépression morale et physique inquiétante. Il est question de le transférer à l’Hospice.
Ayant passe des aveux complets devant la gendarmerie et au Parquet à son arrivée à Avranches, il n’a pas été de nouveau interrogé par M. le juge d’instruction.
Sa mère, d’un autre côté, a été tellement frappée par le crime de fils, qu’elle dû s’aliter.
La gendarmerie a entendu d’autres témoignages. La veuve Rivière craignait son domestique. Elle avait hâte, a-t-elle raconté à plusieurs, que l’année de ce dernier fût terminée pour pouvoir se priver de ses services.
À suivre, le criminel jugé et commentaires
Sur la photo le prisonnier est entravé par des poucettes
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