Un linteau de pierre gravé d’un nom et d’une date permet de raconter une partie de l’histoire d’un bâtiment et de ses propriétaires successifs. Qu’il encadre une porte d’entrée extérieure ou une cheminée intérieure, il constitue un élément du patrimoine archéologique local, même s’il n’est pas classé monument historique. Trois linteaux du XVIIIe et un du XXe siècle répondant à ces critères sont situés sur la commune de Précey et vont faire l’objet de cette étude.
1. Un linteau de cheminée au Mée Richeux, daté de 1728
2. Un linteau de porte à la Godardière, daté de 1763
3. Un linteau de porte à la Tirlière, daté de 1783
4. Un linteau de porte à la Plaine, daté de 1905

Le linteau armorié au Mée Richeux

L’ancienne ferme du Mée Richeux abrite un linteau intérieur remarquable, actuellement séparé en deux parties par une cloison délimitant deux chambres.
Les deux parties du linteau du Mée Richeux
P. LE. ROGERON. ER.
MAGD. DAVY
1728
Ce linteau armorié (qui montre les armoiries de la famille Le Rogeron) commémore une union avec la noble famille Davy.
Le blason Rogeron
De gueules au chevron d’argent, au chef d’argent fretté de gueules de six pièces[1].
ROGERON. Écuyer, sieur de Préaux, de Maizeray, Election d’Avranches, maintenu en 1666 : De gueules au chevron d’argent ; au chef du même, fretté du champ[2].
D’après un acte de location de la fin du XVIIe siècle, le Mée Richeux appartenait alors aux enfants de feu Jean-Baptiste Davy, écuyer sieur de la Bisolière à Précey, et de sa veuve Michelle Auvray :
« Le 20 février 1697[3]: Demoiselle Michelle Auvray veuve de feu Jean-Baptiste Davy, écuyer sieur de la Bisolliere, à la succession duquel elle a renoncé et tutrice principale de ses enfants a baillé à titre de louage et fermage par prolongation de jouissance pour le temps et l’espace de trois années et trois cueillettes entières et parfaites à Jeanne Launay veuve de feu Michel Bameulle de la paroisse de Précey, savoir est le lieu et terre du Merischeux appartenant à ladite Demoiselle en sa qualité de tutrice ».
Les principaux intéressés de ce linteau daté de 1728.
I. Pierre Le Rogeron, né vers 1691, est issu de la petite noblesse de Céaux. Il est fils de Pierre Le Rogeron, sieur du Mézeray à Céaux et de Jeanne Gallet. Il est écuyer âgé d’environ 37 ans lors de son décès, et est inhumé dans la nef de l’église de Précey le 28 août 1728. Pierre Le Rogeron épouse à Céaux le 19 février 1716 Demoiselle Madeleine Elisabeth Davy, de Ducey, fille de Jean-Baptiste Davy, écuyer, sieur de la Bisolière et de Michelle Auvray.
De leur union sont issus au moins cinq enfants, dont les quatre premiers baptisés à Céaux :
1. Françoise Catherine, baptisée le 26 novembre 1716. Le parrain est François de Camprond écuyer, la marraine Demoiselle Michelle Auvray, dame de la Bissoliere, sa grand-mère.
2. Pierre est baptisé le 25 septembre 1718. Le parrain est Pierre Galet, sieur de la Baudrière, la marraine Demoiselle Catherine de Clinchamp.
3. Marie Madeleine est baptisée le 9 novembre 1719. Le parrain est Honnête homme François Le Bouteiller, sieur des Forges, la marraine Marie Marguerite Le Rogeron. Marie Madeleine Le Rogeron épouse à Précey en juillet 1754 Jean Morel, de la Godardière.
4. Antoinette est baptisée le 2 octobre 1721. Le parrain est Nicolas Galet, sieur de la Sauvagère, gendarme, la marraine est Antoinette Richer,épouse de feu Monsieur des Forges.
5. Jean René, qui suit en II.
Veuve de Pierre Le Rogeron, Madeleine Elisabeth Davy épouse en secondes noces Anthyme Le Duc, écuyer, sieur du Fresnay, baptisé le 29 janvier 1689 à Angey, dont sont issus au moins deux enfants :
1. Noble demoiselle Renée Marie Le Duc, née vers 1731, décède à Précey au village du Mée Richeux le 13 décembre 1773 à environ 42 ans.
2. Messire Anthyme François Le Duc, né vers 1738, décède à Avranches, paroisse Notre-Dame des Champs, le 16 novembre 1783 à environ 45 ans.
En 1736, Anthyme Le Duc, donne en location, au titre de son épouse, le bien de Beauregard, à Céaux, ayant appartenu au premier époux de sa femme, Pierre Le Rogeron :
« Le 20 janvier 1736[4], Anthyme Le Duc, Ecuyer sieur du Fresnay demeurant à Précey, ayant épousé noble Dame Madeleine Elisabeth Davy, veuve de Pierre Le Rogeron, Ecuyer sieur de Beauregard, et tutrice de leurs enfants, lequel en cette qualité a baillé à titre de louage et de fermage pour un temps de six années entières à Pierre Le Maistre, fils de Gilles de la paroisse de Céaux, la terre et métairie de Beauregard pour la somme de 150 livres ».

Beauregard à Céaux sur le plan napoléonien de 1831
II. Jean René Le Rogeron nait vers 1723. Écuyer, sieur de Beauregard, il décède à Céaux, en sa terre, le 11 décembre 1783 à environ 60 ans. C’est lui qui hérite des biens de Beauregard à Céaux et du Mée Richeux à Précey. Paroissien de Précey, il épouse, au Mesnil-Thebault le 5 septembre 1748, Julienne Le Saulnier, fille de défunt Jacques Le Saulnier, sieur du Moulinet, et d’Anne Guérin. De leur union sont issus au moins six enfants, les cinq premiers baptisés au Mesnil-Thebault et le dernier à Céaux :
1. Jean est né le 7 avril 1750 au Mesnil-Thébault. Il est tenu sur les fonds baptismaux par Maître Jean Le Saulnier, prêtre, et noble Dame Madeleine Elisabeth Davy du Frenay.
Habitant Céaux, laboureur[5], Jean Le Rogeron épouse à Saint-Laurent-de-Terregatte le 10 janvier 1792 Jeanne Angélique Debordes, fille de défunt Jean Jacques Debordes et de Dame Anne Elisabeth Desilles.
Jean Le Rogeron assure de février 1798 à avril 1800 les fonctions d’agent municipal au sein de la municipalité de canton. Il devient maire provisoire en mai 1800 et est nommé maire de juin 1800 à janvier 1808. Il décède le 22 février 1811 au village de Beauregard.
2. Pierre naît le 30 avril 1751. Le parrain est le prêtre Maître Guillaume Guérin, son oncle, la marraine est Anne Guérin, son aïeule. Messire Pierre Le Rogeron, chevalier de Beauregard, âgé d’environ 35 ans, épouse à Châtelaudren (Côtes d’Armor) le 28 novembre 1786 la Demoiselle Anne Julie Tessier, âgée de 18 ans, née à Châtelaudren, fille de feu sieur Charles Tessier et de Demoiselle Denise Toulic.

Signature de Pierre Le Rogeron lors de son mariage en 1786
Pierre Le Rogeron et son épouse sont domiciliés à Précey le 22 mars 1792 lors de la naissance de leur fils Jules César, futur militaire dans la Grande Armée de Napoléon 1er . Il meurt à l’ambulance régimentaire à Tordesvillar en Espagne le 23 janvier 1813 par suite de fièvre[6].
Le couple s’installe ensuite à Avranches. Pierre Le Rogeron est commis à l’administration de ce district le 1er frimaire de l’an III de la République (21 novembre 1794) lors de la naissance de leur fils Modeste, qui suit en IV. Domicilié dans la commune d’Avranches, Pierre Le Rogeron est âgé de 46 ans vivant de son bien en 1797[7]. Propriétaire âgé de 68 ans, il décède à Fougères (Ille-et-Vilaine) en son domicile place d’Artois le 19 décembre 1819.
3. François Toussaint Jean, nait le 2 novembre 1753. Le parrain est Anthyme François Le Duc, écuyer, son oncle, la marraine est noble Dame Jeanne Davy de Camprond.
4. Jacques Julien nait le 21 septembre 1755. Le parrain est Jean Morel, son oncle, la marraine Anne Muriel femme de Jean Guérin,sa tante. Écuyer, il décède à 27 ans à Beauregard le 17 novembre 1783. Il est inhumé dans le cimetière de Céaux.
5. François Julien René nait à la Gaulardière. Il est baptisé le 7 février 1761. Son parrain est Jean Guérin, sieur des Domaines, son oncle, sa marraine est Madeleine Le Rogeron, sa tante.
6. Augustin Marie François, né au village de Beauregard est baptisé le 27 mai 1764. Son parrain, François Marie Brière, est vicaire de Céaux, sa marraine est Demoiselle Marie Le Rogeron, sa tante. Lorsqu’il épouse à 29 ans Adélaïde Sebert, il est canonnier et demeure à Céaux. Le mariage a lieu à Courtils le 2 juillet 1793. Adélaïde, âgée de 22 ans, est la fille de défunt Jacques Sebert et de feue Marie Cécile Gautier, d’Annoville, dans la Manche.

L’époux signe Lerogeron Mericheux
Cultivateur à Courtils en 1795[8], il est préposé aux douanes en 1797[9] ayant sa maison au gué de l’Epine. Domicilié au Val-Saint-Père en 1800[10], il est sous-lieutenant dans les douanes royales au poste du gué de l’Epine en 1814[11]. Il décède à Beauregard, commune de Céaux, le 28 août 1825.
III. Le Mée Richeux se partage entre deux héritiers après le décès de Jean René Le Rogeron.
La plus ancienne matrice pour la formation du rôle des contributions directes conservée en la commune de Précey couvre la période de 1826 à 1828. Celle-ci indique par ordre alphabétique les noms, prénoms, qualités et demeures des contribuables fonciers possédant des biens en la commune de Précey, ainsi que le montant du revenu imposable en francs et le nombre d’ouvertures, tant de portes que de fenêtres.
N°206 : Rogeron Pierre, à Avranches Revenu : 511,75
12 portes et fenêtres
N°209 : Rogeron Auguste, douanier, au Val-Saint-Père Revenu : 558,18
1 maison n’ayant qu’une porte
Bien que décédés lorsque cette matrice est établie, il est aisé de reconnaitre deux des fils de Jean René Le Rogeron : Pierre Le Rogeron (1751-1819), cité chevalier de Beauregard lors de son mariage en 1786, et Augustin Marie François Le Rogeron (1764-1825) qui signait Lerogeron Mericheux en 1793.
IV. Modeste Le Rogeron, de père normand et de mère bretonne, naît à Avranches le 1er frimaire de l’an III de la République (21 novembre 1794), fils de Pierre Le Rogeron, natif de du Mesnil-Thebault, district de Mortain, et d’Anne-Julie Le Tessier, native de Chatel Audren district de port Brieuc. Directeur de la poste aux lettres, âgé de 25 ans, Modeste Le Rogeron, demeurant à Fougères (Ille-et-Vilaine), y épouse le 12 janvier 1820 Demoiselle Marie Françoise Thérèse Renault, âgée de 22 ans. Elle est la fille de Monsieur Michel Renault et de Dame Thérèse Reine Guenée, propriétaires demeurant à Fougères.
La matrice pour la formation du rôle des contributions directes de la commune de Précey le mentionne pour la première fois pour la période de 1833 à 1835:
N° 222 : Rogeron Modeste, à Lorient Revenu : 275,71
12 portes et fenêtres
La diminution de presque moitié du montant du revenu imposable, comparé à celui de son père, semble indiquer qu’une partie des biens du Mée Richeux aurait été vendue entretemps ou que Modeste avait une ou plusieurs sœurs qui auraient hérité de l’autre partie sous le nom de leur conjoint. Toujours est-il que le premier cadastre de 1831[12]
précise que Modeste Le Rogeron est propriétaire au Mée Richeux d’une maison et jardin, d’un verger, d’une douve et d’une boulangerie attenante. Il possédait également à Précey plus de onze hectares de terres labourables, plus de trois hectares de prés et plus de deux hectares de pâtures.

Localisation du linteau sur le cadastre de 1831
C’est finalement en 1863 que les immeubles dépendant de la succession de M. Modeste Le Rogeron, ancien inspecteur des postes, sont mis en vente par adjudication. Il s’agit d’une part de la terre et ferme nommée Beauregard située au bourg de Céaux et d’autre part de presque six hectares de terres labourables faisant partie dela terre du Mée Richeux à Précey.

Le journal d’Avranches, édition du 17 mai 1863
Domicilié à Fougères lors de son décès survenu en sa demeure rue de Nantes le 1er décembre 1860, Modeste Le Rogeron est cité inspecteur des postes en retraite, âgé de 66 ans, époux de Dame Marie Françoise Thérèse Renault, fils des feus Mr. Pierre Le Rogeron et Dame Anne Julie Le Tessier.
Dernier propriétaire de ce nom à Précey, Modeste Le Rogeron est ainsi un arrière-petit-fils de Pierre Le Rogeron, écuyer et sieur de Beauregard, inhumé dans l’église de Précey en 1728, et de noble Dame Madeleine Elisabeth Davy, qui ont laissé en souvenir le linteau armorié du Mée Richeux.
A suivre…
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[1] Avranches, Bibliothèque patrimoniale, Mélanges Pierre Cousin, ms 185, Nobiliaire d’Avranches, f°170.
[2] E. De Magny, Nobiliaire de Normandie, 1864, Tome 1.
[3] Archives départementales de la Manche, Notariat de Ducey, 5 E 3160.
[4] Archives départementales de la Manche, Notariat de Ducey, 5 E 3276.
[5] « Laboureur : celui qui fait métier de labourer la terre. Labourer : remuer la terre avec la charrue, la lèche ou la houe – Cultivateur : qui cultive la terre. Cultiver : faire les travaux nécessaires pour rendre la terre plus fertile ». Dictionnaire de l’Académie française 1832.
Au XIXe siècle, bien que la fonction soit la même, l’appellation laboureur cède peu à peu la place à cultivateur de la même façon qu’actuellement, le mot agriculteur remplace peu à peu cultivateur . On ne peut donc dire simple laboureur.
[6] Déclaration du 16 septembre 1813 à Avranches, 5 Mi 6, Naissances-mariages-décès, p.221.
[7] Lors de la naissance de sa nièce Sophie Adélaïde Louise Le Rogeron, née au Val-Saint-Père le 25 août 1797 (10 fructidor an V).
[8] Lors de la naissance de sa fille Aimée-Désirée, née à Courtils le 3 août 1795 (16 thermidor an III).
[9] Lors de la naissance de sa fille Sophie-Adélaïde-Louise, née au Val-Saint-Père le 25 août 1797 (10 fructidor an V).
[10] Lors de la naissance de sa fille Constance-Amélie, née au Val-Saint-Père le 28 août 1800 (19 fructidor an VIII).
[11] Lors du mariage de sa fille Aimée-Désirée au Val-Saint-Père le 6 octobre 1814.
[12] Mairie de Précey, archives communales.
/>Le groupe de l’UIA d’Avranches recense actuellement les registres paroissiaux de Céaux , et relevons surtout le XVIII è siècle .
Plusieurs actes Le Rogeron ont été relevés .
Cela va compléter nos investigations .
Merci
Et à bientôt peut-être
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