La création de la laiterie coopérative de Ducey

La fin du XIXème siècle voit la naissance des syndicats d’agriculture.
En 1910, une loi définit les statuts des coopératives agricoles et les producteurs laitiers bas-normands vont être les premiers à créer des établissements comme la laiterie de Ducey.

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La laiterie coopérative de Ducey.

La création de la laiterie 

La laiterie coopérative de Ducey est née quelques années avant son ouverture le 20 juin  1912. En juillet 1910, une association laitière se forme autour de M. Anselme LAURENCE et de M. Georges NORMAND, deux étudiants, persuadés des avantages qu’apporterait un regroupement d’agriculteurs à travers la création d’une laiterie coopérative. Ces derniers se mettent en campagne pour recruter un noyau d’adhérents, avec l’appui de M. VETEL, professeur d’agriculture de l’arrondissement d’Avranches et de plusieurs agriculteurs.

Un article publié dans la presse (L’Avranchin) le 24 septembre 1910 annonce que plusieurs cultivateurs, membres du Syndicat des Agriculteurs, avaient pris l’initiative de créer une première laiterie coopérative à Marcilly. Les pourparlers étaient engagés et de nombreuses réunions d’agriculteurs sont envisagées.

De nombreuses conférences sont alors organisées et se suivent dans tout le canton. MM. LAURENCE et NORMAND rencontrent quelques détracteurs, mais en multipliant les réunions d’information, ils gagnent du terrain. La presse fait écho de ces réunions,  qui s’organisent tout au long des années 1910 et 1911.

Le 6 novembre 1910, une réunion est annoncée le matin à Ducey, salle de la Justice de paix de la mairie et une autre s’enchaîne l’après-midi à Montgothier.
Le 20 novembre, 120 cultivateurs se présentent à l’école des garçons de Saint-Quentin-sur-le-Homme pour écouter le conférencier, très persuasif. Beaucoup adhérent à cette coopérative :

« L’élan est donné, rien n’arrêtera plus la poussée mutualiste pour le plus grand bien des cultivateurs qui y participent »

                                              LAvranchin, 20 novembre 1910.

Le 3 janvier suivant, c’est encore un succès à Ducey, avec toujours plus d’auditeurs. Une réunion constitutive a lieu le 31 janvier 1911. Un conseil d’administration est nommé :

« les cultivateurs présents souscrivent le capital nécessaire pour que l’Etat consentit une avance à la société et ils prirent l’engagement d’accorder à l’Etat une hypothèque sur les bâtiments à édifier. Ils décidèrent également de faire appel au service des améliorations agricoles pour l’établissement des plans».

Le Radical, 24 août 1921, à l’occasion de la visite de M. Lucien Dior, suite à l’inauguration du monument aux morts de Ducey.

La persévérance donne raison à cette coopérative et le 11 février 1911, est annoncé le choix de l’implantation à Ducey, « à côté de la Gare », sur la route de Saint-Quentin-sur-le-Homme. Le terrain est acheté dans le Domaine. Le 21 octobre suivant, les travaux débutent, et la laiterie sort de terre. Les fondations sont achevées. Trente ouvriers y travaillent activement.

Le 7 janvier 1912 a lieu une réunion à l’hôtel Deslandes pour faire le point sur la laiterie. Une visite du site est prévue, ainsi qu’une conférence intitulée « Causeries sur la Mutualité et des coopératives en Russie » de  M. Anselme Laurence, professeur de langues à l’Institut Smollna de Saint-Petersbourg.

En mars 1912, sur les instances de M. Bazire, sénateur, la laiterie obtient du ministre de l’Agriculture une subvention égale à 1/10ème du montant des travaux effectués.

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Ouverture de la laiterie de Ducey.

Son inauguration le 20 juin 1912

Le 20 juin 1912, la laiterie regroupait 107 sociétaires.

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Beurre extra-fin et crème garantis purs et sans colorant.

Son inauguration est un grand succès. Laissons à la presse le soin d’évoquer cet événement :

«  Dès le matin une foule nombreuse se pressait dans les différentes salles de la laiterie et examinait avec curiosité et intérêt les diverses machines.

le Préfet de la Manche et M. DECHARME, directeur de la mutualité au ministère de l’Agriculture, arrivèrent à 11 heures (M. DECHARME avait auparavant visité Avranches et admiré la superbe vue sur les grèves du Mont Saint-Michel). Ils furent reçus aux accents de la Marseillaise par plus de quatre cents personnes qui leur firent un chaleureux accueil : c’est avec peine, tant la foule était dense, que M. le Préfet et M. DECHARME purent visiter la laiterie coopérative : ils la trouvèrent fort bien aménagée.

     Au nombre des personnalités présentes nous citerons : MM. BARON et DAVY, conseillers généraux, FLEURY, maire de Ducey, conseiller d’arrondissement, LE COUPPEY de la Forest, ingénieur du ministère de l’Agriculture, LABOUNOUX, professeur départemental d’agriculture, VETEL et Le CORRE, professeurs spéciaux, LEPRIEUR, maire de Saint-Quentin, OZENNE de Céaux, ROUPNEL, maire de Les Chéris, LOCHET, maire de Beauvoir, M. le Juge de Paix et M. le Receveur de l’Enregistrement de Ducey ; MM. DANICHE BEY et Rhani DAVAND, ingénieurs ottomans, LETREGUILLY, CORNILLE, DAVID, conseillers municipaux d’Avranches, BOURDON et LETELLIER, vice-présidents des laiteries coopératives de Périers et de Saint-Malo-de-la-Lande, Louis LAURENCE, DESMOULINS, directeur de la Caisse Régionale du Crédit Agricole mutuel, LEBLANC, directeur de l’Ecole de Sartilly, THOUAULT, ancien élève de Grignon, MIARD et BRUGER, éleveurs, et une foule nombreuse d’agriculteurs, parmi lesquels nous avons remarqué MM. BLIER, vice-président de la laiterie coopérative, BAISNEE, trésorier, TRINCOT, secrétaire, ETIENVRE, FILLATRE, LEON, LOTTIN, MENARD, PINEL, membres du conseil d’administration, ORVAIN, LIOT, MOREL, HULIN. Les nombreux agriculteurs présents ne nous en voudront pas, nous l’espérons, de ne point citer leurs noms ici, faute de place.

     De nombreuses dames assistaient également à la fête et au banquet : Mmes BAISNEE, BLIER, ETIENVRE, FILLATRE, ORVAIN, PIGEON, TRINCOT. Après quelques mots de bienvenue du président, M. le Préfet prononça une charmante allocution.

    Puis tout le monde se rendit au banquet aux sons de joyeux pas redoublés, et dans une des salles bien décorées de l’hôtel DESLANDES, cent cinquante personnes prirent part aux agapes fraternelles. Le menu fort bien servi faisait honneur à la renommée de la maison DESLANDES.

     On admira beaucoup en passant la décoration faite au Domaine par Mme BAISNEE et sa famille, charmante décoration qu’embrasèrent le soir venu, de nombreux feux de Bengale.

     Puis vint l’heure des discours.

Georges NORMAND

M. NORMAND, président de la Laiterie Coopérative, commença par remercier M. DECHARME et M. le Préfet de la Manche de l’honneur qu’ils font à la laiterie de Ducey en assistant à son inauguration. Il adresse ses remerciements aux fondateurs : MM BAISNEE, BLIER, LAURENCE, VETEL. Il associe à ceux-là ses collaborateurs dévoués de la première heure : MM. ETIENVRE, FILLATRE, LEON, LOTTIN, PINEL, TRINCOT, ROUPNEL.

     Ensuite, après une rapide esquisse de la Coopérative de Ducey, il rappelle les avantages de la coopération agricole, les progrès incessants de la mutualité et parle de la nécessité qui se fait chaque jour plus impérieuse pour les cultivateurs de se grouper afin de réaliser avec le minimum d’effort le maximum de rendement. Après avoir rappelé les avantages que l’Etat accorde aux coopératives et aux mutuelles de toutes sortes, l’orateur termine en buvant à la mutualité, à M. DECHARME et à M. le Préfet de la Manche.

     Puis M. VETEL, d’un point de vue technique montre la nécessité de créer des coopératives pour lutter avec efficacité contre la concurrence étrangère, il prouve que les laiteries coopératives ne peuvent faire tort à l’élevage.

     Un théoricien de la mutualité, M. Anselme LAURENCE, montre comment en ce mois de juin 1912 on a fêté dans toute la France la mutualité et la coopération : il reprend les paroles de M. FALLIERES, pour dire les avantages créés par elles il explique comment, par l’énergie et la volonté, on arrive à vaincre les préjugés et à faire triompher les idées justes et nouvelles ; après avoir dit que c’est par des œuvres et non par des mots que s’affirme le progrès social, il prouve l’inanité des critiques de toutes sortes qu’on dirigea contre la laiterie de Ducey. La mutualité assure non seulement le mieux-être du peuple, mais son bonheur social et moral : bien plus on arrivera par elle à l’apaisement et à la tolérance.

     Au nom du ministre de l’agriculture, M. DECHARME, directeur de la mutualité au ministère de l’Agriculture, remercie les organisateurs de la fête. Il souhaite à la coopérative de Ducey un plein succès, succès qui ne fait aucun doute puisque les associations agricoles, les coopératives de toutes sortes réussissent partout : celle de Ducey rendra des services immenses aux cultivateurs parce qu’elle se trouve dans un pays fertile : elle réunit déjà un grand nombre de coopérateurs, dont le dévouement est d’autant plus sûr qu’ils viennent à la mutualité après avoir mûrement et longuement réfléchi. Il dit les bienfaits des syndicats agricoles, ces âmes paysannes selon le mot de Waldeck-Rousseau, il conseille aux cultivateurs de créer dans toutes les communes des mutuelles contre la mortalité du bétail, des caisses de crédit, etc., puis il boit à la Ville de Ducey, à M. le Préfet, à la République, et à la mutualité.

     C’est M. le Préfet de la Manche qui termine la série de ces éloquents discours, après avoir repris le mot de La Bruyère:  «Tout a été dit et fort bien dit » sur la mutualité : il vante les qualités d’économie, de goût au travail et de persévérance des populations de l’Avranchin : il se félicite que l’ère de la mutualité soit ouverte dans un pays qui jusqu’ici était rebelle aux idées de coopération ; il rappelle les lois faites depuis trente ans en faveur des agriculteurs et les heureux effets qu’elles ont eues pour eux. Il adresse ses remerciements aux fondateurs de la laiterie, affirme que son gouvernement est dévoué aux mutualistes de toutes sortes, et il boit au sous-Préfet d’Avranches, au maire de Ducey, à son conseil municipal et à la République.

     A trois heures et demie, M. le Préfet voulut bien donner le départ de la course cycliste internationale : treize coureurs venus d’Avranches, de Louvigné-du-Désert, de Saint-Hilaire, de Vains, de Villedieu et de Vire, partirent en peloton serré vers Saint-Quentin.

1er Prix : 20 francs, FEUILLET, de Louvigné-du Désert

2ème Prix : 15 francs, FAYANT de Louvigné-du-Désert

3ème Prix : 10 francs, LEPELLETIER de Villedieu

4ème Prix : HAMEL de Saint-Hilaire

     Pendant ce temps, la fête foraine battait son plein ; toutes nos félicitations au directeur du cirque de Limoges qui présenta un programme des plus variés et des plus choisis : contorsionnistes, lama, sanglier et chameau savants, sans oublier l’homme à la peau d’acier.

     A cinq heures et demie eut lieu la deuxième course de bicyclettes : cinq concurrents :

1er Prix, 15 francs André DELAUNAY de Courtils

2ème Prix, 10 francs Alexis PASQUIER de Marcilly

3ème Prix, 6 francs Louis PASQUIER de Poilley

4ème Prix, 3 francs Louis LEGENDRE de Précey

     Durant l’après-midi, l’excellente musique de Saint-James à laquelle nous adressons nos plus vifs compliments fit entendre aux Ducéens les plus jolis morceaux de son répertoire.

     Une retraite aux flambeaux et un feu d’artifice des plus réunis, qu’avait organisé M. BAISNEE, tiré en présence d’une foule considérable, clôtura cette jolie fête, qui laissera un souvenir inoubliable à ceux qui y assistèrent.

                                                                           Un touriste ».

Sources : L’Opinion de la Manche du 06 Juillet 1912

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La laiterie va continuer à accroître ses adhérents dans les années qui suivront.
Le 1er janvier 1913, on comptait 200 sociétaires et en 1921 plus de 500.

Elle fonctionne pendant la Première guerre et le conseil d’administration décide de ne percevoir aucun droit d’entrée. Peu à peu les détracteurs se taisent devant le succès économique de cette dernière.

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Les ouvriers de la laiterie.

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Zoom sur M. Georges Normand

Georges Philippe Marie Joseph Normand est né le 11 juin 1886 à Lisieux. Il est le fils d’un caissier intercommunal de la banque de France à Lisieux et avocat, Gilles François Mary, originaire de Saint-Symphorien-des-Monts, et d’Emilienne Derme. Le couple habitait le château des Mares à Avranches.

Il se marie le 18 avril 1910 à Avranches avec Germaine Lunot. Avocat, il devient président fondateur de la laiterie de Ducey en 1912.

Le fondateur, Georges Normand, est mobilisé et arrive au corps le 3 août 1914, mais il est maintenu dans le service auxiliaire pour des raisons de santé jusqu’en 1917. A son retour, il poursuit son administration de la laiterie de Ducey.

Mais d’autres fonctions lui incombent. Il est président du syndicat fédéral des coopératives laitières de la Manche, président de la caisse locale du Crédit Agricole Mutuel, président du syndicat d’élevage et contrôle laitier de l’Avranchin et du Mortainais, président du flock book de l’Avranchin (répertoire généalogique de la race du mouton de l’Avranchin répertoriant les qualités et sujet de la race en 1928) et président de la Société d’agriculture de l’Avranchin.

Toute sa vie, des décorations lui seront remises. Il sera chevalier, puis commandeur du Mérite agricole, médaille d’argent de la Mutualité, médaille départementale et communale. Il reçoit d’ailleurs le titre de commandeur du Mérite agricole à la laiterie de Ducey le 26 juillet 1969, des mains du préfet de la Manche.

Ses études d’avocat lui permettront d’œuvrer en permanence pour la laiterie. Le 22 février 1924, le conseil d’Etat accorde à la laiterie coopérative de Ducey, représentée par le sieur Normand, son président, une décharge de la contribution foncière des propriétés bâties des impositions locales perçues au titre de la contribution des portes et fenêtres et de la taxe des biens de mainmorte (…) considérant qu’il résulte de l’instruction que le lait avec lequel la laiterie coopérative de Ducey fabrique du beurre, dans les bâtiments à raison desquels elle a été imposée, provient exclusivement des exploitations agricoles de ses adhérents ; que cette fabrication, qui constitue une des opérations normales de l’agriculture, ne saurait être regardée comme présentant un caractère industriel…. Elle est donc exemptée de la contribution foncière des propriétés bâties[1]

Georges Normand reste dans le conseil d’administration jusqu’en 1937 et s’éteint à Saint-Symphorien-des-Monts le 28 juin 1972.

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[1] Recueil des arrêts du Conseil d’Etat statuant au contentieux des décisions du tribunal des conflits de la cour des comptes et du conseil des prises.1924.

Aujourd’hui Ducey peut s’enorgueillir de voir cette laiterie toujours productive.

L’Histothèque Jean Vitel est à la recherche des photos et documents relatifs à l’histoire de la laiterie de Ducey et de ses fondateurs Georges NORMAND et Anselme LAURENCE. N’hésitez pas à nous contacter par le biais de ce blog.

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